Les Lavoirs à Héricy
En préambule, pour signifier l’importance des lavoirs, quelques mots sur leur origine.
La crise sanitaire qui reste actuelle nous a rappelé, si nécessaire, l'importance des gestes barrières et des règles d’hygiène les plus strictes pour éviter la propagation des maladies virales ou bactériennes. Les premières lavoirs apparus au siècle des lumières se sont développés après la prise de conscience collective courant du XIXe siècle des principes élémentaires de propreté avec le mouvement hygiéniste surtout après les épidémies de variole, de typhoïde et de choléra. Cet accroissement du nombre de lavoirs dans nos campagnes accompagnait également leur développement économique. Héricy n’échappe pas à cette tendance et de nombreux lavoirs étaient répartis dans la ville, prouvant le dynamisme de notre commune.
Lieu d’échange et de discussion, le lavoir avait un important rôle social. Interdit aux hommes, c’était un des rares lieux où les femmes pouvaient se réunir entre elles s’abandonnant aux confidences, parfois aux commérages, le travail pénible de lavandière semblant s’adoucir partagé à plusieurs. Quelques fois, ceci aboutissait à des disputes épiques, d'où l’expression, laver son linge sale en famille, cette dite famille étant constituée par le quartier ou le village lui-même.
Sans rentrer dans les détails des étapes du lavage d’autrefois, la dernière phase consistait à rincer le linge lavé dans une eau claire et c’est précisément cette étape qui était dévolue aux lavoirs.
Les grandes demeures bourgeoises avaient leur propre lavoir privé comme celui que nous pouvons observer très récemment restauré dans la cour des communs de la mairie d’Héricy. Il n’était pas de bon ton que les lavandières échangent quelques anecdotes en public sur les riches familles les employant d’où la nécessité des lavoirs privés.
L’apogée des lavoirs publics se situe donc vers le milieu du XIXe siècle surtout après la loi du 3 février 1851 permettant une subvention de 30% pour sa construction. L’arrivée de l’eau courante dans les maisons, la mécanisation du lavage ainsi que l’invention du lave linge électrique auront raison de l’utilité publique des lavoirs. Rappelez-vous de Mère Denis entre 1972 à 1980 louant sa confiance pour une machine à laver, devenant ainsi une « vedette », montrant la pénibilité de son métier de lavandière.
Heureusement, il nous reste ce formidable patrimoine rural que représentent nos lavoirs, signes de la vie sociale de nos campagnes, témoins du dur labeur de nos aïeules qu’il faut conserver et mettre en valeur.
Comme nous l’avons dit au départ, il existait plusieurs lavoirs à Héricy et même un bateau lavoir, tenu par Madame Roux, au début du XXe siècle, femme au bonnet blanc toujours impeccable, (nous y reviendrons dans des prochains articles) mais commençons par un lavoir emblématique, celui de la Brosse.
Le lavoir de La Brosse : une origine singulière
Grâce au très beau travail de nettoyage qui a été fait lors de la Journée Citoyenne du 25 septembre 2021, nous pouvons ré-admirer le lavoir que certains, peut-être parmi nous, redécouvrent. Il nous est apparu opportun de préciser à nouveau son origine singulière.
Depuis des temps anciens, la Fontaine de la Carrière, qui coulait près du chemin montant à La Brosse, alimentait un lavoir, simple bassin, fréquenté par les habitantes du village.
Ce lavoir de la Brosse, situé rue Paul Allaine (ex rue de la Carrière) en montant la D 227E en direction de Machault, tel que nous le voyons de nos jours, a une histoire peu banale.
Tout commença le 5 janvier 1825, lorsqu’un procès-verbal fut dressé contre M. Chevrier, receveur-buraliste. Son tort fut d’avoir voulu se débarrasser d’un tas de pierres provenant de son champ situé sur un terrain au bord de la fontaine de la Carrière. Il eut la fâcheuse idée de déposer ce tas qui l’encombrait « sur la pâture près du cimetière », devant l’église.
Pour éviter tout procès, un arrangement fut trouvé entre la mairie et M. Chevrier. Ce dernier devrait curer et maçonner le bassin de la fontaine de la Carrière avec des dimensions bien précises : 5 m de long, 2 m de large et 0,45 m de profondeur, le tout devant servir de lavoir. Ce n’est que vingt-cinq ans plus tard, soit en 1850 que ce bel ouvrage, dont la dépense fut au départ minime pour la commune, se verra couvert d’un toit et autres améliorations qui parferont l’ensemble.
Et pour commémorer cet achèvement, une plaque toujours visible fut apposée énumérant l’ensemble des Héricéens ayant contribué à sa construction.
« Ce lavoir a été fait en l’année 1850, par les soins de Lemoine Philippe Edmé maire de cette commune et Couillard Louis Etienne son adjoint aidé du Conseil municipal dont les noms suivent : Grenouillet Auguste, Bourgoin Etienne, Chevrier Antoine, Guillot Jacques, Naudier Philippe, Gittard Cyprien, Lemoine Simon, Lemoine Jean-Louis, Bignon Etienne, Chenel Antoine »
Mais comme toujours, l’histoire ne s’arrête pas là. Le 31 août 1851, le conseil municipal d’Héricy, présidé par M. Lemoine, se réunissait. Ce dernier faisait connaître à l’assemblée « que la somme de trois mille francs, votée pour la construction d’un lavoir public, en ce moment en cours d’exécution, entre Héricy, chef-lieu de la Commune, et La Brosse, hameau du dit lieu, était, à cause des travaux imprévus et supplémentaires, insuffisante pour l’achèvement complet de ladite construction.
Le conseil municipal, étant donné que « la commune fait beaucoup de sacrifices et qu’elle est surchargée d’impositions extraordinaires » (sommes engagées par ailleurs avec l’achat du presbytère, la construction de l’école et le 1er terme de l’imposition de 6000 francs votée pour le chemin de grande communication,) demande à l’administration générale « prenant en considération les grands sacrifices faits par la commune... considérant enfin que les propriétaires, peu heureux en ce moment, ont déjà beaucoup de charges à supporter… un secours de la somme de quinze cents francs nécessaire pour parvenir à l’achèvement des travaux de construction de son lavoir ». Cette demande fut probablement grandement aidée par le vote de la loi du 3 février 1851.
Pour conclure, à cet endroit bien calme aujourd’hui, il faut imaginer les bruits de nos villageoises, lavant et frottant les pièces de linge, puis les rinçant dans l’eau claire de la fontaine de la Carrière, tout cela grâce au départ, ne l’oublions pas, grâce aux travaux d’intérêt général accomplis par M. Chevrier, receveur-buraliste.
Le lavoir de l’extrémité de la rue des Fossés-Chevalier
Ce "lavoir" se présentait plutôt comme 4 planches, il se situait jadis à la ruelle dit au Père As. « Aller aux planches » était le synonyme de passer la journée (il n’y avait pas de redevance) à un dur labeur quelque soit le temps, avec à la clé parfois en hiver l’assurance de contracter une infection pulmonaire les mains dans l’eau glacée toute la journée.
Les planches disposées sur les bords de Seine
La lavandière, pour pouvoir exercer son dur labeur, avait besoin d’une planche à laver, d’une petite caisse pour s’agenouiller près de l’eau, d’une planche à frotter et d’un battoir et bien sûr les savons et autres nettoyants. Tout ceci était transporté dans de lourdes brouettes lourdement chargées de linge à laver. Plusieurs étapes étaient alors nécessaires, le savonnage, le battage, le malaxage et enfin l’essorage.
Remarquez sur la carte postale, la lavandière se tenant debout, prudente suite au passage d’un bateau à proximité dont la présence est démontrée par les petits remous de la Seine à gauche.
Le lavoir de Ferdeu
Celui était situé sur le ru de la Gaudine et desservi par la route des Vallées et le sentier de la Sergenterie, prolongé par le sentier du clos de Hauts du Froideur. Dans les années 50, ce lavoir fût rénové au temps de la municipalité du maire M. Griffault. Malheureusement, quelques mois plus tard, sérieusement saccagé par quelques adolescents, la Mairie décida de le raser et ce fût la fin de ce lavoir.
Sur la photo, nous pouvons distinguer les tuiles encore fraîchement déposés par les saccageurs sur le côté du lavoir permettant de dater ce cliché au moment de sa rénovation vaine. Nous pouvons voir d’ailleurs plusieurs personnes venues constatées le dégât dont Mme Faglain Christiane, son mari, Nicole et leur chien.
Le lavoir privé du Château d’Héricy
Les grandes demeures bourgeoises avaient leur propre lavoir privé comme celui que nous pouvons observer très récemment restauré en 2021 dans la cour des communs de la mairie d’Héricy. Il n’était pas de bon ton que les lavandières échangent quelques anecdotes en public sur les riches familles les employant d’où la nécessité des lavoirs privés.
Le bateau-lavoir
Suivant les témoignages de l'époque du début du XXe siècle, Mme Roux, repasseuse locale tenant atelier rue de l'Abreuvoir avec de nombreuses ouvrières, exerçait son pouvoir de direction de mains de maître sur le Bateau lavoir. Ce dernier se présentait comme une bâtisse de presque 15 m de long et 6 m de large. Sa couleur gris blanchâtre, assez lugubre d'ailleurs, était dû au traitement du bois par le carbonyl (produit protecteur du bois interdit depuis à cause de sa toxicité).
Cette drôle de bâtisse flottait sur la Seine en amont de la Gaudine à 5 m du bord. Elle était retenue par de solides chaînes fixées au bord tandis que des roseaux lui facilitaient un certain roulis. L’accès se faisait par une passerelle. Elle était séparée en deux par une cloison longitudinale, du côté rivière réservé aux villageois et de l'autre côté aux ouvrières de Mme Roux. Nous disposions alors d'une douzaine de places. Il n'était pas simple aux lavandières d’exercer leur labeur sans que parfois de malicieux mariniers viennent de trop prêt titiller leur embarcation provoquant des remous déstabilisateurs. Les conséquences pouvaient être immédiates, soit ceci entraînait la chute de l'ouvrière dans une eau plus ou moins glacée…surtout l'hiver, soit la perte du linge emporté par le courant ainsi formé.
L'entrée se monnayait via une redevance de 25 centimes à la demi-journée et pour 10 centimes de plus, on s'assurait d'un seau de "lessu", un jus de lessive redoutablement efficace composé de cendre de bois, de laurier, de saponaire et de racines d'Iris. On pouvait même pour une dépense supplémentaire de 5 sous, faire bouillir ses draps au cuvier.
Faute d'entretien, ce bateau-lavoir sombra vraisemblablement après une nuit de tornade pendant la Première Guerre mondiale.
Conformément au précieux témoignage recueilli auprès de Mme Senoble Christiane, ce bateau lavoir fut reconstruit en tôles par son grand-père, M. Lacoste Victor (charpentier de profession) sur ses rares heures perdues, en aménageant une barge. La location fut autorisée par la mairie (un document datant de 1935 du conseil municipal attestait encore du renouvellement de son bail) à Mme Lacoste Amanda, grand-mère de Mme Senoble Christiane, continuant ainsi la noble tradition de lavandière. Elle fut la dernière responsable de ce bateau-lavoir qui lui-même sombra, mal amarré, un jour de grande crue, probablement à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’il ne fût plus jamais reconstruit, les Héricéennes continuèrent, un temps, à laver leur linge en bord de Seine ou aux lavoirs jusqu’à l’apparition et la généralisation des lave-linges qui mirent fin à cette pratique. Mais il demeure dans la mémoire collective l’existence de ce bateau-lavoir associé à nos chères lavandières courageuses.
Pour compléter, consultez la galerie photos, rubrique lavoirs
Sources :
-Héricy, histoire d’une châtellenie et de l’abbaye de Barbeau de Mme C.KH Iablokoff 1978
- Héricy, 1890-1940 Brève chronique d’un village du Gâtinaix de M.Gigandon 1999
- Héricy, Vulaines, Samoreau, un peu d’histoire locale de M.Georges Guillory 1930
- Histoire d’Eau en Seine-et-Marne Tome II de Mme Hélène Fatoux 1988
- Compte rendu municipal du 31 août 1851 (Archives municipales)
- Cartes postales Coll. R.Bal, C.Songeux, A.Dalaine, Photos Mairie d’Héricy
- Bulletin officiel du Ministère de l’Intérieur 1851 p86 p118
- Wikipédia
- Témoignages
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